Le « suivi » juridique

Une affaire qui aurait pu tomber dans l’oubli, …

Immédiatement à la suite de la mort de Babacar, dès le 3 décembre 2015, une enquête est ouverte. Au lieu de chercher à faire réellement la lumière sur les circonstances des coups de feu mortels, toutes les investigations s’avèrent entièrement à charge contre Babacar, qui est décrit par le procureur de la république, le défenseur des intérêts de l’État devant les tribunaux, comme un « forcené » « particulièrement agressif ». Ses propos seront largement repris dans la presse, rendant Babacar responsable de sa propre mort. Pour la justice, il faut que l’histoire retienne qu’on n’avait pas d’autre choix que de tuer Babacar, tant il était dangereux.

 

3 décembre 2015, immédiatement après la mort de Babacar : deux services sont saisis par le procureur pour mener l’enquête :

  • le Service Régional de la Police Judiciaire (SRPJ) qui vise à conforter la version policière, faisant de Babacar un forcené.
  •  l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) qui cherche à montrer que les conditions d’utilisation de l’arme par le tireur sont réglementaires, que le tireur n’est donc pas en tort.

Dans la matinée du 3 décembre 2015 : 3 des policiers présents dans l’immeuble portent plainte contre Babacar pour tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique.

Dans l’après-midi du 3 décembre 2015 : Awa Gueye, la sœur de Babacar, apprend la mort de son frère par un de ses amis qui l’appelle. Elle se rend au commissariat pour savoir où est le corps de Babacar. Les policiers vont refuser qu’elle soit accompagnée pendant « l’entrevue ». Ils vont lui annoncer que « son frère a été tué parce qu’il voulait tuer un policier ». Il refuseront de lui donner accès au corps de Babacar sans avoir sa pièce d’identité et lui mettront sous le nez, et sans la prévenir, une photo du son frère mort.

Dans la journée du 3 décembre 2015 : une autopsie est menée sur le corps de Babacar, qui confirme que ce sont les balles qui l’ont tué.

 

Le jour de la mort de Babacar, tout est donc fait pour le criminaliser : des policiers portent plainte contre lui (ce qui est irrecevable pour une personne décédée dans le droit français) pour laisser entendre qu’il représentait une menace qui serait justifier par une potentielle maladie mentale ou addiction à des drogues.

 

février 2016 : les conclusions de l’analyse toxicologique révèlent qu’aucun élément toxicologique n’est responsable de la mort de Babacar.

avril 2016 : la police judiciaire rend ses conclusions : les policiers n’ont pas eu d’autre choix que de tirer sur Babacar qui présentait une menace.

juin 2016 : les conclusions de l’enquête de l’IGPN sont remises au procureur de la république. Selon elles, le policier qui a tiré sur Babacar a réagi de manière proportionnée à la violence dont Babacar a fait preuve sans raison à son encontre.

juillet 2016 : le procureur du tribunal de grandes instances de Rennes classe sans suite l’affaire au motif que le policier tireur était en état de légitime défense.

 

Au vu des éléments, Awa Gueye constate que le récit policier est incohérent et qu’aucune réponse n’est apportée à ses questions. Pour elle, il n’y a pas réellement d’enquête de faite. Les seules recherches effectuées visent à faire de son frère un consommateur de drogue ou un dealer.

L’autopsie indique pourtant l’arrivée d’une balle par la fesse gauche, ce dont la justice ne se saisit pas pour mettre en cause la version policière. Pour Awa, la thèse de la légitime défense ne tient pas la route.

En huit mois, malgré l’existence de zones d’ombre, l’affaire est donc classée, sans qu’aucun acte pouvant être à charge contre les policiers, n’ait été réalisé.

 

… Sans le combat d’Awa Gueye

 

Si Awa n’avait pas porté plainte, l’enquête se serait arrêtée là, sans qu’aucune recherche effective de la vérité n’ait été effectuée. En plus d’avoir perdu son frère, Awa a donc eu à faire face et doit encore faire face à la police et à la justice, qui ne font rien pour mettre la lumière sur les circonstances de la mort de Babacar, entravant au contraire le combat qu’elle mène, en ralentissant les procédures et sans qu’aucune mise en examen de policiers ne soit prononcée.

 

juillet 2016 : Awa porte plainte avec constitution de partie civile contre le tireur pour homicide volontaire et contre les trois policiers qui avaient porté plainte contre Babacar pour participation au meurtre ou à l’assassinat.

janvier 2017 : le procureur de la république prend en compte la plainte déposée par Awa. Il saisit le juge d’instruction.

mai 2017 : Awa est entendue, mais cette fois en tant que partie civile dans cette affaire, par le juge d’instruction.

courant 2018 : des scellés, notamment ceux contenant l’arme et les deux chargeurs sont détruits, « malencontreusement », lors d’un tri des scellés.

février 2019 : les résultats d’une expertise faisant le lien entre balistique et autopsie tombent. Aucune balle n’est arrivée de face. Quatre sont arrivées de côté, et de haut en bas, une autre est entrée par la fesse gauche de haut en bas.

éte 2019 : le tireur est placé sous statut de témoin assisté.

 

Malgré le fait que la justice ait désormais des éléments prouvant qu’aucune balle n’est arrivée de face, ce qui contredit la thèse de la légitime défense, aucun policier n’est inquiété. Seul le tireur est placé sous le statut de témoin assisté, ce qui lui permet d’avoir accès au dossier et préparer sa défense en cas de mise en examen.